Matoub Lounes, 20 ans déjà...

juin 29, 2018 by
Matoub Lounes, 1956-1998

J’ai entamé l’écriture de ce texte pour faire comme tout le monde. Oui comme à peu près tout le monde : Clamer cet amour indicible pour Lwennas, mais aussi ma haine pour sa mort. Je l’ai entamé, oui comme d’habitude avec ce phrasé qu’on me connait, poétique et dyslexique mais haut en couleur.

Sauf que cette fois, j’ai été coupé dans mon élan en lisant l’article, que dis-je, ce cri, cette ode ou simplement cette preuve d’amour de son ami Ameziane Ourad dans le journal Le « Matin » d’aujourd’hui. Il était long l’article. Oui pour une lecture quelconque, mais c’était trop court, trop interessant pour être court. Il était tellement sincère et tellement touchant que les larmes vinrent profaner à maintes reprises mes yeux las sous mes lunettes de soleil. Il me procurait à la fois un fin bonheur et une amère tristesse. Je suis triste de ne pas l’avoir connu comme lui, de cette façon. Je l’ai connu à douze ans, mais à douze bien des choses nous échappent, comme ce 25 juin où la mort l’eut pris. J’étais de retour du stade comme tous les jours de vacances. J’arrive au village et les mines de tous les gens que nous croisons étaient défaites. Un jeune nous dit qu’ils venaient de tuer Matoub, le « ils » pas encore défini. Et n’étant pas encore conscient de l’homme, je ne me rendis pas compte sur le coup. J’entre à la maison et les choses ont changées. Mon père était en train de regarder TF1, qui en parlait et ce fut la première fois que je vois mon père en larmes, depuis les choses ne furent plus les mêmes. Ma mère, cette femme qui se mettait soudain à la place de celle de Lounes était aussi en train de pleurer en écoutant ces chansons sur son poste cassette. Ces larmes à elle, ne me bouleversèrent pas. Nos mères avaient ce fardeau de porter celles des hommes en plus des leurs à cette époque. Et non! Je n’ai jamais pu rencontrer lwennas comme Ameziane et ce fut plus qu’une envie, mais pure jalousie. Je l’ai vu une fois, j’avais effectivement douze ans et je le revois dans mes rêves, dans mes espoirs, mais aussi un peu partout à la fois... Mon texte avait pour titre « pourquoi j’ai encore du mal à parler de lui? » Mais voilà que je me surprends en ayant lu l’article à voir les mots glisser sous les pointes de mes doigts et ces derniers ne parlent que de lui, égoïstement que de lui. — de toute façon tout parle de lui aujourd’hui. C’est son jour. Il est certes funeste, mais c’est aujourd’hui qu’il renait encore et encore. Il renait sur toutes les langues, tous les supports et sur toutes les étoiles du ciel à chaque minute, chaque seconde que emplit ce jour du 25 juin. Du coup, je vous livre le peu que j’ai écrit de ce texte avant que je sois délivré par celui de Monsieur Ourad. « Pourquoi j’ai encore du mal à parler de lui? Il est pourtant là. Il est pourtant partout dans ce que je regarde, je contemple, ce que j’écoute, ce que je lis. Il arrive dans mon esprit, dans mes rêves comme un lever de soleil. Il me réchauffe. M’effleure comme ce chant d’hirondelle, il voyage, il se fait du monde un chez lui. Mais pour quelle raison je ne puis parler de lui? Peut être qu’il est là, sans y être vraiment et cela ne me suffit point. Les traits de son visage envahissent mes yeux et mon âme, mais ils ne me satisfont pas. Devrait-on d’ailleurs nous satisfaire juste de ses traits gravés sur tous ces supports qui puissent exister? Tous les murs, les livres, les écrans et même les chairs. Devrait-on nous satisfaire de sa voix éternelle qui raisonne à chacun de nos souffles éreintés par l’injustice et cette recherche perpétuelle de ce gout de liberté que nous ne connaissons point?... Voilà ce bout de texte que je pus poser jusque-là. Il est intimiste, idolâtre, imprécis, incomplet, mais qu’à cela ne tienne, vingt ans après la blessure ne se referme pas encore et les mémoires restent toujours aussi tourmentées qu’un certain 25 juin 1998.


Par Larbi At Umalou

0 Comments:

Enregistrer un commentaire